mardi 11 mars 2008

L’argent facile a corrompu les Farc

L'universitaire colombien César Restrepo répond aujourd'hui dans les colonnes de Libération aux questions du journaliste Michel Taille

Simple apaisement provisoire ? Les bruits de bottes sont un peu retombés en Amérique du Sud : la Colombie, d’une part, l’Equateur et le Venezuela, d’autre part, se sont diplomatiquement rapprochés vendredi après la grave crise qui s’était profilée tout au long de la semaine dernière.

Le 1er mars, l’armée colombienne avait tué, en territoire équatorien, Raúl Reyes, le numéro 2 de la guérilla des Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie). Quatre jours plus tard, la Colombie annonçait la mort d’Ivan Ríos, un autre des sept membres du Secrétariat des Farc - l’organe de direction de la guérilla. Yvan Ríos a été abattu par son propre «chef de sécurité», lequel s’est ensuite livré à l’armée colombienne pour toucher la récompense offerte. Ce garde du corps s’est livré aux autorités en apportant la main droite, tranchée, d’Ivan Ríos ainsi que son ordinateur portable.

César Restrepo, universitaire colombien, spécialiste des questions militaires, revient sur l’affaiblissement de la guérilla ces dernières années.

Après la mort de deux de ses principaux chefs, quel est l’état de la guérilla colombienne ?

Les circonstances dans lesquelles le chef Ivan Ríos vient d’être tué - par ses gardes du corps - viennent confirmer une information que nous avions depuis plusieurs mois : les Farc sont plongées dans une très grave crise de discipline. La principale cause en est l’argent du trafic de drogue. Ce qui était au départ un moyen de financement est devenu un cancer. Le goût de l’argent facile a corrompu, aussi, la guérilla. Au point que des «lieutenants» de certaines unités cherchent à tuer leurs chefs pour s’emparer du négoce.

Les récompenses offertes par le gouvernement aggravent-elles cette situation ?

Bien sûr. Il faut se mettre dans les bottes d’un guérillero. Apparement, les hommes de «Rojas», le guérillero qui a tué Yvan Ríos, sortaient de deux semaines de combats. Ils manquaient de vivres, n’avaient plus de communication avec les autres unités, ne cuisinaient plus de peur que la fumée ne les trahisse… Avec les 5 milliards de pesos [1,7 million d’euros] offerts pour la tête de Ivan Ríos, le calcul était vite fait : Rojas sauvait sa peau et se faisait un pactole pour le reste de sa vie. Aujourd’hui, les autres dirigeants des Farc doivent regarder leur entourage d’un drôle d’œil. Ils doivent se demander : «Et celui-ci, à quelle heure va-t-il me trahir ?» Cela pourrait entraîner des purges…

Après six ans d’offensive militaire, l’armée colombienne multiplie les succès. A quoi est-ce dû ?

Le premier virage important a été, il y a huit ans, l’acquisition d’avions et d’hélicoptères. L’aviation a permis de mettre fin aux prises de garnisons locales et de villes moyennes par les Farc. Elle a obligé les guérilleros à se disperser. Elle a aussi permis des opérations commando, comme lors de la mort de Raúl Reyes en territoire équatorien, grâce à l’amélioration des services de renseignement. Les Etats-Unis ont apporté un apport technologique : des images satellites très précises, des interceptions de communications grâce à des plateformes aériennes… Parallèlement, l’armée colombienne - dont les effectifs ont presque doublé - semble avoir réussi à infiltrer les Farc. Et parvient de plus en plus à obtenir le soutien des populations locales. Aujourd’hui, les Farc n’auraient plus que 12 000 hommes, contre 17 500 en 2002, et leur capacité militaire a beaucoup diminué. Cela fait six ans qu’elles se replient. Elles peuvent peut-être tenir encore des années dans la jungle, mais en se cachant, donc en perdant la pratique du combat…

Qu’est-ce qui pourrait encore inverser le cours de la guerre ?

Avant tout, que les Farc reçoivent de l’aide, en armes ou en argent, du président vénézuélien, Hugo Chávez. Je pensais qu’il n’oserait jamais le faire… Mais le contenu des ordinateurs de Raúl Reyes [dont la Colombie a demandé une expertise par des analystes étrangers, ndlr], dans lequel les guérilleros parlent d’une offre d’aide de 300 millions de dollars [195 millions d’euros] de Chávez, semble prouver le contraire. Les guérilleros paraissent également rechercher désespérément des missiles sol-air, en vain jusqu’ici. Mais ce qui leur aurait le plus servi, sans doute, aurait été que la crise de la semaine dernière débouche sur une guerre entre la Colombie et ses voisins, l’Equateur et le Venezuela.

Est-on passé très près d’un conflit, avant la réconciliation des trois chefs d’Etat vendredi ?

Non. Aucun d’eux n’avait intérêt à une guerre. En cas de guerre, l’Equateur aurait risqué de menacer la sécurité de ses gisements de pétrole ; les Vénézuéliens, qui souffrent actuellement de pénuries alimentaires, auraient peut-être chassé Hugo Chávez ; et la Colombie a toujours, militairement parlant, trop à faire avec les Farc…

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