vendredi 26 octobre 2007

Guy Môquet vu de gauche

Après la mise en scène du jeune militant communiste Guy Môquet, Pierre Mabut and Antoine Lerougetel ont publié le 4 juin 2007 un intéressant point de vue des héritiers des communistes non staliniens dont voici de larges extraits :

Guy Môquet, Sarkozy et l’école stalinienne de falsification

Une déclaration du PCF sur Guy Môquet, datée du 21 mai 2007 et affichée sur son site Internet, dit : « Il a été arrêté le 13 octobre 1940, à la Gare de l’Est. Bien avant l’invasion de l’URSS, par les nazis. Guy Môquet avait été dénoncé parce que, avec ses camarades de la Jeunesse communiste, il distribuait des tracts dans les cinémas ou manifestait contre l’Occupation et la collaboration. Son père, cheminot et député communiste, était alors déporté au bagne de Maison-Carrée en Algérie et des policiers français gardaient cet élu du Front populaire dressé contre les 100 familles capitalistes qui contrôlaient la France, engagé contre le fascisme qui depuis des années menaçait l’Europe. »

Cette déclaration est un exemple typique de l’école stalinienne de falsification historique.

Prosper Môquet, le père de Guy, était l’un des 72 députés du Parti communiste élus à l’Assemblée nationale le 3 mai 1936. En mai 1935, Staline avait signé un traité de coopération avec le gouvernement droitier de Laval, acceptant implicitement la politique militaire française et appelant le PCF à voter pour le budget militaire. Cette alliance de Staline et du PCF avec l’impérialisme français se poursuivit sous le gouvernement de Front populaire.

Le Front populaire se composait du Parti communiste, du Parti socialiste et du Parti radical, un parti bourgeois. Il liait la classe ouvrière à la bourgeoisie et s’opposait au développement d’une perspective socialiste internationaliste indépendante. Son premier geste avait été d’empêcher que la grève générale de mai-juin 1936 ne se développe en une insurrection révolutionnaire. Il voyait la défense de la France face à l’attaque nazie en termes purement nationalistes et non comme un conflit de grandes puissances recherchant chacune l’avantage impérialiste et utilisant la classe ouvrière et les jeunes comme chair à canon.

Le 30 septembre 1938, Neville Chamberlain, représentant la Grande-Bretagne et Edouard Daladier représentant la France, et tous deux partisans de la politique d’apaisement, signèrent les Accords de Munich. Ils donnèrent ainsi aux nazis le feu vert pour envahir la Tchécoslovaquie. Staline prit peur que la Grande-Bretagne et la France ne soient en train de se préparer à s’unir avec l’Allemagne contre l’Union soviétique.

Au lieu d’essayer de mobiliser la classe ouvrière mondiale contre cette alliance impérialiste, Staline procéda à une alliance préventive de son cru : le Pacte hitléro-stalinien (germano-soviétique) du 23 août 1939.

Moins d’un mois plus tard, le 20 septembre 1939, le Comintern de Staline informait le PCF de sa nouvelle ligne politique : les partis communistes ne devaient pas soutenir la guerre contre l’Allemagne déclarée par la France et la Grande-Bretagne suite à l’invasion de la Pologne par Hitler. Ce que les staliniens avaient auparavant qualifié de guerre de « défense nationale » était à présent qualifié de « guerre impérialiste. » Le Parti communiste devait donc s’y opposer suivant cette ligne politique, puisque l’Allemagne avait fait une alliance avec l’Union soviétique.

Dans le journal l’Humanité du 26 septembre 1940, le PCF critiquait sévèrement la résistance gaulliste qu’il accusait de « va-t-en-guerre avec la peau des autres » et dénonçait « la volonté commune des impérialistes d’entraîner la France dans la guerre, du côté allemand ou du côté adverse sous le signe d’une prétendue résistance à l’oppresseur. »

André Marty, membre dirigeant du PCF et secrétaire de l’Internationale communiste stalinienne, envoya le 4 octobre 1939 une lettre à Léon Blum, membre du gouvernement Daladier, critiquant son soutien à la guerre. « L’actuelle guerre européenne est une guerre provoquée par deux groupes impérialistes dont chacun veut dépouiller l'autre ; par conséquent, les ouvriers, les paysans, n'ont rien à voir dans cette affaire. »

En conséquence, le président Edouard Daladier décréta le 26 septembre 1939 la dissolution du PCF. Il fit interner un grand nombre de ses membres et députés, dont Prosper Môquet. Prosper, arrêté le 10 octobre 1939 fut jugé en secret par un tribunal militaire en avril 1940 et condamné à cinq ans d’emprisonnement. Il fut déporté en mars 1941 au bagne de Maison-Carrée en Algérie.

Les nazis envahirent la France le 10 juin 1940 et le maréchal Pétain signa l’armistice, douze jours plus tard. La sympathie de larges couches de la bourgeoisie française pour le fascisme joua un grand rôle dans la déroute de l’armée française. Le Parti communiste, qui ajustait sa politique aux besoins de la diplomatie soviétique, avait été interdit et un grand nombre de ses dirigeants emprisonnés par ses anciens alliés du Front populaire.

Prosper Môquet fut donc emprisonné, non pas pour ses activités anti-nazies, comme l’affirme le PC dans sa déclaration du 21 mai 2007 (la déclaration, en fait, laisse entendre des activités anti-nazies) ; au contraire, le parti stalinien s’opposait, pour le moment, à la guerre contre l’Allemagne fasciste. En effet, bien qu’il ne fasse pas de doute que d’autres considérations politiques entraient en jeu (comme par exemple, l’occasion de réprimer les tendances de gauche au sein de la classe ouvrière) le père de Guy Môquet fut officiellement condamné pour « intelligence avec l’ennemi » et n’était certainement pas, à ce moment-là, membre du Front populaire qui n’existait alors plus. Il était en fait un prisonnier politique du gouvernement Daladier, dirigeant du Parti radical et ancien ministre du gouvernement de Front populaire de Léon Blum.

Une recherche faite par deux journalistes, Jean-Pierre Besse et Claude Pennetier, en 2006, dans les archives municipales de Paris, a mis à jour des notes rendant compte de négociations entre le PCF, dirigé par Maurice Tréand, et Otto Abetz, représentant de Ribbentrop, le ministre des Affaires étrangères nazi. Ces notes révèlent que les émissaires de Staline n’hésitaient pas à essayer d’entrer dans les bonnes grâces de l’occupant nazi en faisant usage d’antisémitisme bien placé.

Tréand, sous la direction du secrétaire du comité central du PCF, Jacques Duclos, essaya en vain d’obtenir des nazis l’autorisation de publier le journal du PCF, l’Humanité. Les négociations durèrent de juin à août 1940.

Tréand présenta ainsi ses arguments : « Pour l'URSS nous avons bien travaillé par conséquent par ricochet pour vous... [N]ous ne ferons rien pour vous, mais rien contre vous. » Attaquant les capitalistes anglais et leurs alliés français, Tréand fait référence au « Juif Mandel ». Georges Mandel était le dernier ministre de l’Intérieur avant l’occupation nazie. Tréand mentionne par trois fois le « Juif Mandel » qui a « fusillé des ouvriers qui sabotaient la défense nationale ».

Voici l’extrait d’un texte écrit pas Duclos et présenté aux autorités allemandes : « L'Humanité publiée par nous se fixerait pour tâche de poursuivre une politique de pacification européenne et de défendre la conclusion d'un pacte franco-soviétique, qui serait le complément du pacte germano-soviétique et ainsi créerait les conditions d'une paix durable.»

La police française arrêta et emprisonna Guy Môquet, âgé de 16 ans, le 13 octobre 1940. La France était occupée, mais il fallut attendre encore neuf mois avant que l’invasion nazie de l’Union soviétique ne mette fin au pacte hitléro-stalinien. La déclaration du PCF du 21 mai, citée en début d’article, affirme qu’il était en train de distribuer des tracts « contre l’Occupation et la collaboration », mais il est très peu probable qu’il aurait ainsi agi contre la ligne politique du parti. Un autre commentateur donne cependant une forte indication que les questions pour lesquelles il faisait campagne et les raisons de son arrestation étaient de nature quelque peu différente. « Après l’occupation de Paris par les Allemands et la mise en place du gouvernement de Vichy, Guy fit passionnément campagne, collant des papillons dans le quartier, qui dénonçaient le nouveau gouvernement et exigeaient la libération des internés, » l’un d’entre eux étant, bien sûr, son propre père.

Les médias se sont mis au diapason de la version stalinienne et n’ont aucunement essayé de faire la lumière sur la situation de Prosper au moment de l’arrestation de son fils. Ils ont évité au PCF que ne soit découvert ce secret gênant, veillant ainsi à ne pas perturber cette toute dernière adaptation du stalinisme au gaullisme.

Avec l’invasion nazie de l’Union soviétique le 22 juin 1941, le PCF fit une nouvelle volte-face, et adopta à nouveau sa position d’antifascisme de Front populaire au lieu de sa position d’anti-impérialisme, et entra dans une alliance avec la résistance gaulliste, avec pour but le rétablissement d’un régime bourgeois après la Libération plutôt qu’une république socialiste ouvrière.

L’organe théorique du PCF, Les cahiers du bolchevisme, à la fin des années 1941 déclare, « les Français saluent dans les soldats de De Gaulle, des combattants de la bonne cause, des combattants anti-hitlériens.» Cette unité avec la bourgeoisie nationale fut consolidée quand les staliniens entrèrent dans le Conseil national de la Résistance de De Gaulle en mai 1943. La « bonne cause » se révéla plus tard être l’oppression des peuples coloniaux de la France en Algérie et en Indochine, sans parler de la participation des staliniens au gouvernement de De Gaulle en 1945 et à la reconstruction du capitalisme français.

Les communistes, emprisonnés dans des camps d’internement par les gouvernements de Daladier puis de Pétain, étaient maintenant officiellement ennemis des nazis et à leur merci.

Le 20 octobre 1941, un commandant allemand Karl Hotz, fut exécuté à Nantes par trois jeunes communistes. Les nazis exigèrent immédiatement en représailles la vie de 50 Français. Pierre Pucheu, ministre de l’Intérieur du gouvernement collaborationniste du maréchal Pétain reçut l’ordre de choisir 50 prisonniers à exécuter. Pucheu rejeta une première liste de noms d’anciens soldats jugeant qu’ils étaient « de bons Français » et préféra une seconde liste constituée d’otages communistes.

Il s’agissait de membres du PCF, à l’exception de Marc Bourhis, un trotskyste, et de son ami et camarade Pierre Guéguin, maire de la ville de Concarneau et membre du PCF depuis sa fondation en 1920. Il s’était opposé au pacte hitléro-stalinien, comme bien d’autres membres du PCF et sympathisait avec les trotskystes. Lorsqu’une occasion se présenta à Bourhis de s’échapper du camp d’internement, il décida de rester avec Guéguin, craignant que ce dernier ne soit maltraité, voire tué par les prisonniers staliniens s’il se retrouvait seul avec eux. La présence de trotskystes parmi le groupe des 27 prisonniers exécutés avec Guy Môquet par un peloton d’exécution nazi à Chateaubriand fut niée par les dirigeants du PCF jusque dans les années 1990.

Les staliniens empêchèrent et étouffèrent le développement d’une lutte socialiste révolutionnaire dans tous les mouvements de résistance antifasciste, liant les travailleurs, les paysans et les jeunes à leur bourgeoisie nationale et à leurs alliés. La trahison de la révolution espagnole de 1936 en fut le premier exemple.


Sources :

The Writings of Leon Trotsky (1939-40), Merit Publishers: 1969

Fac Simile—La Vérité 1940/1944, Paris, EDI: 1978

Les Trotskystes en France pendant la deuxième Guerre mondiale, Jean-Pierre Cassard — La Vérité OCI—(undated but after 1980)

Contre vents et marées, Yvan Craipeau, Savelli: 1977
(Article original paru le 2 juin 2007)

Lire aussi :

Le Stalinisme et le Trotskisme en France pendant l'Occupation, [1er novembre 2001]


France : Le nouveau président est accueilli par des manifestations [21 mai 2007]

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